Au vu des problèmes graves que pose actuellement la gestion de l'eau, nombreux sont ceux qui commencent à réaliser, encore confusément, que c'est au niveau des principes de base qu'il convient de chercher des nouvelles pistes. On voit parfois apparaître des voies isolées pour réclamer des « nouveaux paradigmes » pour la gestion de l'eau.
Ce texte reprend les éléments essentiels de mes conférences et publications sur le sujet. Il propose de nouveaux paradigmes pour le génie sanitaire qui ne sont réellement nouveaux qu'à ceux qui n'ont pas eu accès, jusqu'à présent, à ces informations.
Première publication du texte de la présente page sur www.eautarcie.com : mars 2008En tout premier lieu, il faut s'imprégner de l'idée suivant laquelle la gestion de l'eau, et celles de la biomasse animale (humaine) et végétale sont intimement liées entre elles. Cet ensemble est aussi lié aux problèmes climatiques et énergétiques dans le monde.
Toute solution technique proposée doit tenir compte du fonctionnement des grands cycles naturels de l'eau, du carbone, de l'azote, du phosphore et des autres éléments. Étant données les interdépendances intimes, il n'est pas raisonnable de prendre une décision en matière d'assainissement sans tenir compte de toutes les implications sur la gestion des matières (déchets) organiques. Cette vision globale demande évidemment des connaissances qui dépassent celles de la plupart des spécialistes, mais aussi une méthodologie de travail pour laquelle ils n'ont pas été formés.
Une autre formulation de cette idée consiste à attirer l'attention sur les interdépendances intimes qui existent entre la gestion des eaux usées et la production alimentaire mondiale. On peut aisément montrer que le point de départ de tous nos problèmes d'eau dans le monde trouve son origine dans le système de tout-à-l'égout. Son abandon est la condition préalable pour entamer le chemin vers un assainissement et une production alimentaire durables. Il n'y a pas d'autre voie.
Le manque de connaissances dans les domaines autres que leur spécialité peut induire les techniciens à des erreurs, parfois graves. Pour illustrer ce fait, citons trois exemples :
On pourrait continuer la liste des erreurs (parfois graves) faites avec les meilleures intentions, uniquement à cause d'un champ de vision réduit. Ce qui est dommage est que dans les problèmes touchant l'environnement on n'écoute que les « spécialistes ». Le prestige d'un technicien ou d'un scientifique se mesure avec le nombre de ses publications faites toujours dans un domaine restreint de connaissances. Les « généralistes » des sciences ne sont pas écoutés. Souvent ils sont méprisés même, par leurs pairs.
A propos de l'assainissement écologique, une précision s'impose. A cause des interdépendances, l'approvisionnement en eau de la population doit également faire partie de l'assainissement écologique : point d'assainissement durable sans gestion durable de l'eau à consommer.
Il faut donc repenser les concepts de base de l'assainissement qui, de ce fait, devient réellement « écologique ». Il n'y a malheureusement pas de terme plus galvaudé que celui-ci. On y fourre actuellement tout et n'importe quoi. Il serait grand temps d'en fixer les grands principes et les options de base.
Par la suite, nous allons énoncer les six grands principes de l'assainissement écologique SAINECO (ou les nouveaux paradigmes du génie sanitaire), dont les cinq premiers concernent les traitements des eaux usées, tandis que le sixième traite la gestion de l'eau destinée à la consommation.
Voici l'énoncé de ces six principes :
Ces six principes fixent les critères précis permettant de séparer les techniques de gestion réellement durable de celles qui consistent à « faire semblant » ou l'écoblanchiment (« greenwashing » en anglais). L'introduction de ces critères dans la législation y apporterait une grande simplification: pour le traitement des eaux usées : on autoriserait automatiquement toute technique, pour autant qu'elle réponde au cinq premiers principes. C'est ce qui constitue la base du nouveau génie sanitaire.
On découvre par la même occasion, que les mots comme « sanitaire » et « assainissement » n'expriment plus le contenu de cette science, car le but principal n'est plus l'assainissement, bien qu'il soit également atteint. De même, il est également préférable d'oublier la notion « d'épuration » au profit de la « gestion » et de la « valorisation ». Analysons à présent ces six principes.
Le système SAINECO pour la gestion des eaux usées issues des habitations est présenté dans une vidéo de 14 minutes sur l’internet, accessible aussi bien à la page d'accueil que sur Youtube.
Le premier principe définit le point de départ de toute démarche vers une gestion durable des eaux usées et vers une agriculture durable : il met fin, une fois pour toute, au système de tout-à-l'égout obéissant à la même logique que l'option de tout-à-la-poubelle.
En lisant attentivement le texte qui résume le système SAINECO, on découvre les particularités des eaux-grises et des eaux-vannes et la simplification obtenue par leur traitement sélectif.
Le système de « tout-à-l'égout » est aussi absurde au point de vue scientifique que le système de « tout-à-la-poubelle ». Les eaux-vannes et les eaux grises ont des caractéristiques chimiques et biologiques tellement différentes que leur traitement sélectif s'impose de lui-même. De plus, la charge polluante des eaux-vannes n'est pas un déchet à détruire, mais une matière première précieuse pour la sauvegarde de la biosphère.
La collecte sélective des eaux implique en ville le dédoublement du réseau d'égouts. Il s'agit d'une option, « égouts séparatifs », qui est déjà recommandée, mais pour un usage différent. Afin d'atténuer les effets des averses qui purgent les installations d'épuration en entraînant une charge polluante vers la rivière, on propose actuellement le placement d'un réseau d'égout séparé pour collecter les eaux pluviales. Dans l'option SAINECO, le deuxième égout ne récolterait que les eaux-vannes issues des WC à chasse économique. Les égouts existants ne collecteraient que les eaux-grises et les eaux de la voirie. La dilution des eaux-grises par les eaux pluviales faciliterait leur valorisation au lieu de l'entraver.
On peut envisager l'achèvement du traitement des eaux grises par la lumière, de l'air et des plantes dans une zone naturelle humide à écoulement lent. Une politique intégrant ce principe aurait pu réaliser l'assainissement écologique des villes avec des dépenses comparables, voire inférieures [2]. La différence est qu’avec les techniques de SAINECO, les villes auraient cessé de polluer les eaux, sans parler des économies d'énergie et de la régénération des écosystèmes.
Le deuxième principe définit l'élément clef de la sauvegarde de la biosphère : il instaure l'interdiction de faire n'importe quoi avec les déjections humaines et animales, à savoir : épurer, épandre sur-, ou infiltrer dans le sol.
Les spécialistes ont du mal à comprendre et à admettre l'interdiction d'épurer. L'origine de l'incompréhension se trouve dans le cinquième principe de l'assainissement classique qui postule que pour le maintien de la production agricole, il suffit d'introduire des éléments nutritifs (N-P-K) dans le sol. Lorsqu'on ramène l'agriculture à cette logique simpliste, on ne voit pas la différence entre l'azote contenu dans une boue d'épuration, le digestat de biométhane, le lisier d'élevage ou dans un compost mur obtenu dans de conditions optimales. La vie dans le sol et sa biodiversité constituent la seule garant pour une agriculture durable. Comme nous allons voir dans le troisième principe, les éléments N-P-K ont moins d'importance que leur place dans des structures moléculaires pour la formation de l'humus pour le sol.
En ville, les eaux-vannes collectées avec un réseau d'égouts séparé se déverseront dans des centres d'imprégnation et de compostage. Ces centres deviendront les plaques tournantes de la gestion de la biomasse des déchets. De ce fait ils constitueront la source principale d'amendements organiques azotés et phosphatés pour l'agriculture.
Comme source de biomasse animale azotée on disposera des eaux vannes concentrées issues des WC urbaines, du lisier d'élevage [3] et la partie fermentescible des ordures ménagères.
Comme source de biomasse végétale carbonée on disposera de la partie cellulosique des ordures ménagères (papiers souillés, cartons d'emballage et de tous les déchets de papier qui ne conviennent pas pour le recyclage en tant que papier), les produits de l'entretien des espaces verts urbains et des bords des routes (bois d'élagage broyé), les caisses et plateaux d'emballage broyés, etc. En cas de besoin on y ajoutera les déchets des scieries (écorces et sciure de bois) et des menuiseries (copeaux).
Le troisième principe renverse les priorités en génie sanitaire : au lieu de mettre en avant la lutte contre le péril fécal, il recommande la restauration de la santé de la biosphère. Dans une biosphère saine, par voie de conséquences, l'homme devient sain aussi.
A ce niveau, le rétablissement des relations symbiotiques entre la faune du sol et les plantes enclenche une succession d'effets qui se renforcent et finissent par éliminer nos problèmes d'eau, de production alimentaire, de santé, et auront même un effet décisif et favorable sur l'évolution des changements climatiques.
Le quatrième principe organise la valorisation des eaux-grises. Il n'est pas inutile de rappeler que ces eaux ne constituent une nuisance qu'en les mélangeant avec les eaux-vannes et en les épurant. Dès le moment où on les collecte d'une manière sélective, on découvre qu'elles constituent une ressource précieuse pour l'irrigation des cultures et pour l'alimentation des nappes phréatiques. Leur infiltration dans le sol a un impact nul sur la qualité des eaux souterraines, pour autant qu'on respecte quelques conditions simples.
Le cinquième principe instaure la protection efficace des écosystèmes aquatiques. L'épuration actuelle n'a pas résolu le problème de dégradation de ces milieux particulièrement sensibles. Les résidus laissés dans l'eau épurée constituent un problème non résolu par le génie sanitaire actuel. Les détergents, les micro-polluants et les médicaments traversent les systèmes d'épuration et causent des dommages à la vie aquatique. Les nitrates et phosphates qui restent dans l'eau après épuration suffisent pour provoquer les phénomènes d'eutrophisation à des degrés divers et font apparaître les algues sur nos plages maritimes. Les résidus de médicaments qui compromettent la qualité des eaux de distribution ne sont pas éliminés par ultrafiltration.
La solution la plus élémentaire est évidemment de ne pas rejeter des eaux usées dans un cours d'eau, même après épuration. Dès le moment que les eaux-vannes sont traitées avec de la cellulose végétale comme un déchet solide, et que les eaux grises servent à irriguer les cultures ou alimentent, par infiltration, les nappes phréatiques, aucune pollution d'origine domestique n'arrive plus dans les rivières. L'intégralité des eaux usées est valorisée, donc celles-ci, au lieu d'être un déchet, deviennent une ressource. Avec la généralisation du système SAINECO, les algues disparaîtront progressivement de nos plages maritimes.
Le sixième principe assure l'approvisionnement durable de la population en eau potable de haute qualité, sans mobiliser des capitaux importants.
Dès le moment où l'on adapte la qualité de l'eau aux usages, des économies de moyens peuvent être réalisées. Une partie importante de l'humanité manque d'eau potable de bonne qualité car l'idéologie hygiéniste impose une qualité « potable » pour tous les usages domestiques. Rendre potable la totalité de l'eau utilisée par les ménages est une option très chère et tout à fait irrationnelle.
Dans un monde où l'eau de bonne qualité se fait rare, il n'est pas raisonnable de vouloir utiliser de l'eau rendue potable à grand frais pour tous les usages domestiques. On a pourtant imposé cette idée dont l'application est à l'origine de nombreux problèmes d'eau dans le monde. La norme pour « accès à l'eau potable » est devenue le robinet délivrant de l'eau légalement potable dans chaque habitation. Dans le contexte environnemental présent, étendre cette vision à tous les habitants de la terre implique des investissements dépassant les possibilités de la plupart des pays. S'entêter à maintenir cette vision hygiéniste largement dépassée [1] écarte une bonne partie de l'humanité de l'accès à l'eau potable de qualité.
Même dans les régions où cette option est financièrement accessible, elle a un impact environnemental non négligeable (surexploitation des nappes phréatiques) et un impact négatif sur la santé. La qualité de l'eau distribuée est de plus en plus remise en question par les scientifiques. Les ressources en eau de qualité devenant rares, la production d'eau répondant aux normes devient de plus en plus onéreuse. Avec l'augmentation du prix de l'eau, les sociétés productrices peuvent évidemment augmenter leurs bénéfices au détriment du principe d'accès facile à l'eau pour tous. Une politique sociale appelée à compenser cette dérive transfère tout simplement les frais (à notre avis complètement inutiles) sur l'ensemble de la société.
Pour sortir de cette impasse, le premier pas est d'introduire la notion de « l'eau inoffensive » à côté de celle de l'eau « potable ». L'absorption accidentelle d'une eau « inoffensive » [4] ne porte pas préjudice à la santé, sans pour autant qu'elle soit légalement « potable ». Pour une telle eau, on peut abaisser les normes pour répondre aux besoins domestiques non alimentaires. Avec la détérioration de la qualité des ressources, la production de l'eau inoffensive aura un coût nettement moins élevé que celle de l'eau potable. Dans certaines régions ou villes, où cette situation devait émerger [5], il est plus raisonnable de renoncer à la distribution de l'eau potable au profit de celle de l'eau inoffensive. Dès lors, pour boire, la population concernée aura le choix entre les eaux vendues en bouteille (option onéreuse) ou la production domestique d'eau potable (option bon marché et plus efficace). La généralisation de l'usage des appareils à osmose inverse assurera à la population de l'eau potable et alimentaire (environ 5 litres par jour par personne) pour un prix de revient de quelques euro-centimes le litre. La qualité de cette eau n'est comparable qu'à celle des meilleures eaux minérales du commerce. Des mécanismes d'aide peuvent être instaurés pour l'acquisition du matériel de filtration aux économiquement faibles.
L'introduction de la notion de « l'eau inoffensive » se heurte à la vision hygiéniste qui impose l'eau potable non seulement pour la boisson (moins de 3% de la consommation), mais aussi pour l'hygiène personnelle, la lessive et la vaisselle. L'expérience de plus de 750 000 personnes en Belgique qui utilisent de l'eau de pluie non potable, mais « inoffensive » depuis des années pour ces usages, illustre l'absurdité de cette exigence.
Le sixième principe a également un aspect légal. Il précise qu'il faut « assurer un statut légal identique à chaque ressource en eau, y compris l'eau de pluie » Son application ne représente une avancée pour la population qu’à condition d’organiser légalement la gestion coordonnée de toutes les ressources en eau. Dans la pratique ceci équivaut à offrir les mêmes facilités juridiques et réglementaires à l'usage de toutes les ressources disponibles en eau. Autrement dit : il faut supprimer les monopoles et la main-mise des sociétés privées (ou déguisées en sociétés « d'intérêt public ») sur les ressources et la vente de l'eau potable. Actuellement cette condition, garantissant l'équité, n'est pas remplie. La distribution et la vente de l'eau potable est le monopole et la « chasse (bien) gardée » de quelques sociétés publiques et privées. Dans certains pays, comme la France, il en résulte une réglementation interdisant l'usage de l'eau de pluie à l'intérieur des habitations et imposer des techniques incorrectes [6].
Pourtant, point de gestion durable de l'eau sans l'utilisation intégrale de toutes les précipitations qui tombent sur les toits des bâtiments. Dans cette optique, au lieu de réglementer d'une manière restrictive – comme en France – l'usage domestique de l'eau de pluie, il faudrait imposer (et soutenir financièrement) le placement des citernes. Dans tous les bâtiments à construire ou à rénover, conditionner l'aide, au placement d'une citerne dont la capacité est en rapport avec la superficie au sol de l'habitation [7]. Les techniciens de l'eau, pour une raison non encore élucidée, conseillent le placement des citernes de trop petite capacité. Dans de telles citernes, par temps pluvieux on perd l'eau par le trop-plein, l'eau qui manquera par temps sec. L'eau récupérable sur les toits pourrait théoriquement couvrir de 60 à 80 % de la consommation des ménages.
Il faudrait admettre le principe suivant lequel chacun puisse devenir son producteur d'eau potable (au départ de sa citerne d'eau de pluie ou de son puits par exemple), sans pour autant lui imposer des normes de qualité. Ce qui n'empêche pas la formulation des recommandations et de conseils. Une autre mesure qui découle de ce principe devrait être la levée de l'obligation de se raccorder au réseau de distribution. La fourniture d'eau est un service payant que chaque citoyen devrait pouvoir choisir ou de refuser. Imposer l'usage d'une eau dont la qualité peut ne pas convenir à certains est une atteinte à la vie privée.
Avec ces mesures vraiment peu onéreuses et simples, on réduirait la pression sur les ressources en eau d'une manière conséquente. Cette option coûtera moins cher à la société que le monopole de la distribution centralisée.
La généralisation de l'usage de l'eau de pluie (naturellement douce, contenant peu de calcaire), en plus de la réduction de la pression sur les ressources hydriques, a aussi un impact non négligeable sur la réduction de la charge polluante des eaux usées et aussi sur le régime hydrique des zones urbaines. On voit donc l'interdépendance de l'approvisionnement en eau et le traitement des eaux usées [8].
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