«Le citoyen auquel on a enlevé sa responsabilité pour un problème donné, comme par exemple celui de la pollution des eaux, est prié de passer à la caisse et se décharge ainsi en payant d’un devoir qui lui incombait. Il peut donc, en principe, garder la conscience tranquille. Après tout, il continue à faire sa part mais il le fait autrement. Le problème que son argent doit permettre de résoudre s’estompe et disparaît de son esprit. À sa place, il y a un gros tuyau d’égout dans lequel il peut mettre tout ce dont il veut se débarrasser. Il entrevoit confusément à l’autre bout du tuyau des spécialistes occupés à ressortir de l’eau ce qu’il a jeté.»
Pierre Lehmann
La lecture de ces pages se veut utile aux personnes appelées à prendre des décisions en matière de politique de l’eau.
Gérer l’eau de pluie et ses eaux usées suivant les principes de l’EAUTARCIE est plus qu’un simple choix ou option technique: c’est aussi un choix de société, un acte hautement politique. De ce point de vue, la qualité principale du système est de constituer une école de gestion responsable.
Les considérations développées sur ces pages constituent une prise de position politique d'un citoyen soucieux de l'avenir de la planète.
Première publication du texte de la présente page sur www.eautarcie.com: 2004
Adaptation du texte original et première publication de la présente page sur www.eautarcie.org: 2010-03-04
Mise à jour: 2010-03-04
Nous avons choisi ce livret, édité par le WWF, car il résume remarquablement bien, non seulement la position officielle, mais également l’approche d’un mouvement environnementaliste. A la lecture, on découvre que le WWF s’aligne fidèlement sur la politique officielle de l’eau.
Pour une meilleure compréhension de ce chapitre, le lecteur aura avantage à prendre auparavant connaissance des idées directrices exposées dans les pages de ce site.
Nous limiterons notre analyse au chapitre consacré aux mesures concrètes pour les particuliers (page 22-23), puisque c’est l’objet de ce site.
Analysons les mesures que l’on recommande aux communes concernant la réduction de la pollution à la source.
Le livret ajoute aussitôt: «conformément aux PCGE [1] ou au règlement général d’assainissement des eaux urbaines résiduaires quand il sera d’application».
Il faut savoir que les PCGE imposent le placement des égouts à au moins 90% des habitations, alors que l’écobilan de la collecte et de l’épuration est catastrophique [2]. Dans l’intérêt de l’environnement (et aussi celui du contribuable), l’épuration collective devrait être réservée aux centres urbains traditionnels où, sans une révision complète de la politique de l’eau, on reste tributaire de cette technique qui demeure cependant une nuisance environnementale majeure. En Région wallonne, les centres urbains à habitat vertical ne représentent que tout au plus 25 à 30 % des habitations.
Les zones à épuration individuelle ne concernent actuellement que 5 à 10% des habitations wallonnes. Si l’objectif était la protection de l’environnement, il faudrait revoir sérieusement à la baisse (bien plus que le Gouvernement wallon ne l’a fait en 2001) les zones à épuration collective.
L’égouttage séparatif est justifié pour éviter la dilution des eaux usées par les eaux pluviales et de ruissellement. C’est vrai que l’efficacité de l’épuration (performances épuratoires) diminue avec la dilution des eaux, mais la suppression de la dilution n’améliore pas nécessairement la qualité des eaux épurées rejetées [3]. L’égouttage séparatif est une véritable «tarte à la crème» des techniciens en génie sanitaire. Même si son efficacité est tout à fait contestable, il permet de doubler le chiffre d’affaire des entreprises d’égouttage.
La mise en place des égouts séparatifs ne peut pas être justifiée par un souci de protection de l’environnement, mais uniquement par un raisonnement juridique. En fait, la loi impose aux épurateurs des performances épuratoires (c’est le rapport entre la charge polluante qui sort et qui entre dans l’installation) relativement élevées avec des normes de rejet laxistes. Pour satisfaire à la loi, les épurateurs ont intérêt à avoir des eaux très polluées à l’entrée pour pouvoir obtenir les performances épuratoires imposées. Cependant, quelle que soit la technique utilisée, une eau plus chargée à l’entrée implique une eau de moindre qualité à la sortie.
Pour être vraiment efficace, en zone périurbaine, il faudrait interdire le rejet des eaux usées domestiques dans l’égout. Celui-ci ne devrait collecter que les eaux de la voirie. Le contenu de ce site montre bien que dans ces zones, on peut traiter les eaux usées domestiques dans les petits jardins. En cas d’utilisation d’une bonne toilette sèche, la pollution qui en résulte est nulle. Même si l’on maintient les W.-C. et qu'on épure les eaux vannes sur place d’une manière sélective, les impacts environnementaux seront bien moindres que ceux des stations d’épuration. Quant aux eaux pluviales provenant des toits, leur place est dans les citernes [4]. Dès lors, il ne faut plus dédoubler les égouts, et les eaux de la voirie ne demanderaient qu’une épuration primaire (dégrillage, déshuilage) vraiment peu onéreuse. Après un bassin de retenue (du genre bassin d’orage), ces eaux ne présenteraient guère plus de nuisances que le rejet d’eau de distribution.
Ce n’est pas de cette manière qu’on sortira de la logique du «tout-à-la-poubelle» et surtout de son pendant logique du «tout-à-l’égout». On entend par système séparatif la séparation des eaux usées et des eaux pluviales. Au niveau des bâtiments, c’est la mesure inefficace par excellence.
Comme nous l’avons déjà signalé, les eaux pluviales du toit ont leur place dans la citerne et non pas dans un égout, même séparatif. Canaliser ces eaux:
Les bâtiments communaux (dans les zones à épuration individuelle dont il est question ici) devraient être équipés de citernes à eau de pluie. S’il y a séparation, c’est au niveau des eaux grises et des eaux-vannes qu’il faudrait l’effectuer. Les eaux grises produites par ces administrations pourraient être infiltrées sans traitement dans le sol à l’aide d’un système de dispersion ou de puits perdant. Quant aux eaux-vannes, il faudrait s’efforcer à utiliser des W.-C. à volume d’eau réduit et envoyer les effluents dans des fosses à vidanger. Ces eaux-vannes pourraient servir à imprégner par exemple le broyat des branches d’élagage des espaces verts publics. C’est la voie royale pour produire un compost de qualité. Par ailleurs, ce système de compostage collectif absorberait aussi la partie fermentescible des ordures ménagères (45% de la masse des ordures ménagères), les déchets verts et même les cartons d’emballage déchiquetés, ainsi que les papiers souillés. C’est la gestion conjointe cohérente de la biomasse et de l’eau.
De tout cela, il n’est évidemment pas question dans le livret du WWF.
En lisant le document on a l’impression que la séparation des eaux pluviales et des eaux usées est devenue une idée fixe et récurrente.
Tout cela n’a plus de sens dès qu’on généralise la valorisation de l’eau de pluie. A partir d’une citerne bien dimensionnée dont l’eau est utilisée pour le ménage, l’expérience de dizaines de milliers de familles montre que le trop-plein ne fonctionne pratiquement jamais.
Relevons au passage que le compost mûr est appelé «tourbe» ce qui trahit le niveau d’ignorance du rédacteur de ce texte en matière de gestion de biomasse.
On ne peut que se réjouir de la volonté d’encourager le compostage au jardin. Le problème est que le «compostage» dans un bac est une technique incorrecte. La transformation aérobie des déchets pour faire de l’humus se fait en symbiose avec la faune qui vit naturellement dans le sol. Le compostage hors sol est aussi peu souhaitable pour l’environnement que l’élevage ou la production végétale hors sol: l’azote y est transformé en nitrates à des degrés divers et l’humus ne se forme pas ou très peu.
Le compostage est un art facile à maîtriser, mais il faut un minimum de connaissances que de toute évidence, de nombreux ingénieurs agricoles diplômés n’ont pas encore. Pour les règles élémentaires du compostage, lire le chapitre compostage des déjections.
C’est un premier pas dans le bon sens, mais il serait infiniment plus efficace d’organiser, surtout dans les communes urbanisées, le ramassage sélectif des déchets verts avec la partie fermentescible des ordures ménagères. Dès que ce type de ramassage est organisé, il n’y a qu’un tout petit pas pour arriver à ramasser les effluents des toilettes sèches, comme cela se fait déjà dans certaines villes de Norvège.
On ne peut être que choqué par l’amoncellement des sacs poubelles remplis de tonte d’herbe. Cette biomasse fait aussi partie de l’écosystème qui nous fait vivre. Apporter ses déchets verts au «bac à compost» [5] central suppose une certaine motivation que la majorité du public n’a pas encore.
S’il y a sensibilisation à faire, c’est dans le sens de ne pas les utiliser. À défaut d’une interdiction pure et simple, une taxe dissuasive pour l’achat de ces produits serait encore mieux. La production agricole dans les jardins ne constitue pas un gagne-pain. On peut encore comprendre – sans l’admettre – l’usage des engrais par un agriculteur ou un maraîcher qui vit de sa production, mais pas de la part de celui qui cultive son jardin.
Dès qu’on utilise du compost bien fait dans son jardin, l’expérience montre que les besoins en produits phytosanitaires se réduisent. Ces «plans intégrés» ne servent à rien s’il n’y a pas une pénalité fiscale pour la pollution générée. Soit on applique rigoureusement le principe du pollueur-payeur, soit on utilise des «plans intégrés» qui ne sont que des ficelles pour réaliser des réductions de bouts de chandelles.
C’est vrai, ce site en décrit quelques-unes, mais le livret du WWF reste désespérément muet sur ce chapitre. Notamment, il n’y est nulle part question de la promotion de la valorisation de l’eau de pluie ni celle des toilettes sèches. Ces deux mesures (eau de pluie + toilette sèche) feraient en fait plus pour la sauvegarde de l’eau que toutes les recommandations réunies du livret du WWF.
En matière de politique de l’eau, on ne peut parler de «prévention de la pollution» sans mentionner en premier lieu l’usage d’une toilette sèche correcte.
Cette phrase contient toute l’incohérence de la politique européenne de l’eau. En effet, l’article premier de la directive 271/91 [6], fixe comme but la protection de l'environnement, tandis que l'article 3 fixe le calendrier de l'épuration. En lisant les pages sur l’assainissement classique, on comprend pourquoi épuration n’est pas synonyme de protection de l’environnement, tout au contraire… Normalement, il appartiendrait à un organisme de défense de l’environnement, comme le WWF, de dénoncer avec force cette incohérence. À ma connaissance, seuls les Amis de la Terre Belgique [7] ont une position proche des idées défendues dans ce site. Contrairement au WWF, les Amis de la Terre ne bénéficient pas de l’appui du Conseil de l’Europe ou d’autres organismes officiels.
En page 30, le livret traite du problème d’inondations.
Une approche réellement intégrée interdit rigoureusement l’égouttage (pour les eaux usées) dans les zones rurales et même périurbaines. En effet, la quantité d’eau usée (prélevée par ailleurs dans nos ressources souterraines) rejetée via la station d’épuration dans la rivière par une agglomération équivaut à un petit cours d’eau dont le débit s’ajoute à celui de la rivière en crue.
L’incohérence de taxer l’eau et de ce fait, ne pas pouvoir encourager la valorisation de l’eau de pluie a une autre conséquence: drainer les eaux des toits vers les rivières. Par la même occasion, cette eau, surtout si elle est rejetée en égout, est perdue pour l’alimentation des nappes phréatiques.
Le système du tout-à-l’égout aggrave le déficit, déjà présent, de l’alimentation des nappes phréatiques. Le taux d’exploitation de ces nappes en Région wallonne – pourtant réputée d’être riche en ressources hydriques – est de 85% [8]. Ce qui signifie que 85% de l’eau qui s’infiltre dans nos réserves souterraines est prélevée et distribuée. La marge de sécurité est donc assez mince. Compte tenu d’un des effets prévisibles des changements climatiques, à savoir, une alimentation naturelle moindre des nappes, on peut prévoir à moyen terme une pénurie d’eau. Chaque litre d’eau évacuée par les égouts aggravera la pénurie. Même si l’épuration collective ne constituait une nuisance environnementale majeure [9], rien qu’en raison de la perturbation du régime hydrique des terroirs, l’épuration collective devrait être considérée comme une technique incompatible avec le concept du développement durable. C’est l’idée-force qu’un organisme de défense de l’environnement, comme le WWF, devrait défendre avec énergie. Nous sommes loin du compte…
L’aménagement des bassins d’orage – recommandé dans le livret du WWF – est un emplâtre sur une jambe de bois.
S’il y a une mesure efficace contre les dégâts provoqués par les inondations, c’est la modification du plan secteur dans le sens de ne plus affecter aux habitations des zones potentiellement inondables.
De même, afin de diminuer le ruissellement des précipitations, il faudrait engager une politique de gestion intégrée de toute la biomasse disponible. Ceci augmenterait la teneur en humus des terres agricoles. Cette matière précieuse («l'or brun des sols») fonctionne comme une éponge: elle est capable de retenir 50 fois sa masse en eau.
En page 31, le livret traite de la pollution et de l’épuration.
Rien ne sert de réglementer au niveau communal quand les lois régionales sont inadaptées à la situation. Ce sont les normes régionales de rejets qui ne protègent pas l’environnement. Lire à ce sujet les pages sur ces normes. A propos des systèmes individuels d’épuration, nous avons vu que même de laisser faire n’importe quoi(mis à part le rejet dans un cours d’eau) est bien plus efficace pour la protection de l’environnement que les meilleures stations d’épuration individuelles.
S’il y a un règlement à édicter au niveau communal, c’est l’interdiction formelle de rejeter les eaux usées domestiques dans une eau de surface et même dans un égout. Ce type d’élimination des eaux ne devrait être autorisé qu’en cas d’impossibilité technique de faire autrement.
Ici, le livret traite de la protection des nappes phréatiques (page 31).
Il s’agit d’une mesure passablement inefficace, mais extrêmement onéreuse.
La commune ne pourrait tout de même pas exproprier les habitations situées dans les zones de captage. L’acquisition de quelques parcelles inhabitées ne changera pas la situation, à moins qu’il s’agisse de terres agricoles. Par contre, l’acquisition des terres agricoles se heurtera à d’autres lois.
La mesure efficace serait de n’autoriser que l’agriculture biologique dans les zones de captage et d'exercer une surveillance rapprochée si celles-ci se situent en zone agricole.
Quant aux habitations, elles continueront à polluer les nappes, même et surtout si on les met en conformité avec les lois sur l’épuration individuelle, car une petite station d’épuration, recommandée par l’administration, qui infiltre ses eaux dans le sol, pollue d’autant plus qu’elle fonctionne bien. Pour limiter les dégâts, dans ce cas précis (donc infiltration dans le sol), il faudrait couper l’électricité qui alimente ces installations. Outre la diminution de la pollution des nappes, on économisera de l’énergie électrique [10].
L’idéal serait de n’accorder l’agrément qu’aux systèmes d’assainissement dont l’écobilan global est satisfaisant. Dans cet écobilan, en cas d’infiltration dans le sol (ce qui est souhaitable), les performances épuratoires sont tout à fait accessoires, et sans importance. Dans l’évaluation des systèmes proposés, il faudrait mettre en avant la quantité d’azote annuellement rejeté avec les eaux épurées et avec les boues. En appliquant ces critères, on interdirait la commercialisation de toutes les installations électromécaniques. Le principe de fonctionnement de ces petites stations d’épuration est incompatible avec le concept du développement durable.
L’assainissement des villes et des zones habitées est une obligation consignée dans la directive 271/91 de la Communauté Européenne. L’article premier de cette directive précise clairement l’objectif de la loi : «Protéger l’environnement contre une détérioration due aux rejets des eaux résiduaires urbaines.» L’objectif n’est donc pas d’épurer à tout prix, mais de minimiser les impacts environnementaux en amont et en aval de l’acte d’épuration.
Le dernier alinéa de l’article 3 de la même directive impose le principe d’utilisation de la meilleure technologie disponible et économiquement acceptable, suivant ces termes:
«Lorsque l’installation d’un système de collecte ne se justifie pas, soit parce qu’il ne présenterait pas d’intérêt pour l’environnement, soit parce que son coût serait excessif, des systèmes individuels ou d’autres systèmes appropriés assurant un niveau identique de protection de l’environnement sont utilisés.»
Ces articles n’ont malheureusement pas été transposés dans le système juridique de la Région wallonne en Belgique, mais il est à craindre que dans les systèmes juridiques des autres états membres non plus. Grâce à cette omission, on peut maintenir une conception scientifiquement dépassée de l’assainissement suivant laquelle le but ultime n’est pas la protection de l’environnement, mais l’épuration.
Ce faisant, le législateur wallon a légiféré dans le sens d’une protection moindre de l’environnement que ne le prévoit la directive.
Ces omissions sont justifiées par les spécialistes (commercialement engagés pour la plupart) pour imposer l’épuration contre toute logique environnementale et économique par l’hypothèse (complètement fausse) suivant laquelle une bonne épuration est automatiquement une bonne protection de l’environnement. Au point de vue scientifique, cette affirmation n’est juste que dans des cas tout à fait exceptionnels. Dans l’écrasante majorité des cas, c’est l’inverse qui est vrai : plus on épure, plus on détruit l’environnement.
Lire plus amplement à ce sujet aux chapitres consacrés à l’assainissement écologique.